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  • Daniel Charneux

Je me souviens de Jean-Michel Carton


Vous est-il arrivé de courir contre le vent ? Ça m’est arrivé quelques fois, aux dix heures d’Hornu 1983, dans la longue ligne droite du jogging du Cœur entre Erquennes et le coron de Blaugies, ou encore en remontant du Belvédère vers la Porte de France, ces jeudis où je m’entraînais avec Bruno Cougneau et notre équipe de Honnellois…

Et si l’une des plus belles courses du challenge « Belles du Haut-Pays » – les Foulées d’Éole à Élouges – est associée au dieu du vent, c’est peut-être en souvenir de Jean-Michel Carton qui aurait mérité, comme Rimbaud mais pour d’autres raisons, la périphrase : « l’homme aux semelles de vent ».

Je me souviens d’un entraînement sur piste, en août 87 à Saint-Ghislain. J’avais suivi Jean-Michel dans une séance de trois fois mille mètres : 2’57, 2’52, 2’56… Il faut dire qu’il valait un peu plus de deux minutes au 800, 4’09 au 1500. Je revois devant moi sa silhouette longiligne, ses jambes fines de vrai « miler », les pieds toujours nus dans les chaussures ou les spikes, la chevelure noire et drue qui le faisait parfois prendre, disait-il, pour un Italien voire un Nord-Africain. Accrocher ! Rester dans son sillage ! La même année, il m’avait servi de lièvre sur un 3000. Nous étions passés en 4’27 au 1500. Qu’est-ce qu’il était facile ! Et au service des autres ! Pierre Louvrier se souvient de l’instant, près de la source lors du Grand Prix des Sylves à Dour au début des années 90, quand Jean-Michel l’invita à terminer la course avec lui alors qu’il était nettement plus fort.

Je l’avais rencontré au milieu des années 80. Il avait vingt-cinq ans. Il avait été affilié à Dour Sports quelques années plus tôt, puis avait abandonné. De son engagement à l’armée, il gardait quelques discrets tatouages et cicatrices. En 1984, ouvrier aux câbleries de Dour, il s’est remis à courir et a rejoint les rangs de l’Entente Athlétique du Hainaut. En 1983, en effet, Dour Sports avait été intégré dans cette formation qui regroupait aussi Hainaut Sport, l’éphémère « Boussu Hornu Athlétisme » et une lointaine section au Bizet. Le but de Jean Moins était de pouvoir disposer de la piste en tartan qui venait d’être construite à Saint-Ghislain (l’OSGA n’existait pas encore).

En fouillant dans mes archives, le premier classement où je retrouve le nom de Jean-Michel est l’allure libre ADEPS d’Obourg, le 30 septembre 1984. J’étais quatrième en 32’24, Jean-Michel seizième en 36’24. Le 9 décembre de la même année, je remportais le premier jogging des Frontières à Fayt devant le Français Alavoine… et Jean-Michel Carton, déjà au podium. Tout indiquait qu’il deviendrait un excellent athlète avec, entre autres un chrono d’1h05 aux 20 kilomètres de Bruxelles et de 2h30 au marathon à son coup d’essai et ce malgré des problèmes récurrents au tendon d’Achille, comme le rappelle Pierre Louvrier.

Le 14 avril 1985, il est à nouveau troisième du jogging des Ombellifères organisé par le cercle sportif des Câbleries de Dour. Le 22 septembre, nous terminons premier et deuxième du jogging de Plantis, en quelque sorte dans son jardin, puisqu’il habite alors ce vieux quartier de Dour.

En 1986, il continue à progresser : le 9 novembre, il gagne le jogging des Frontières à Fayt devant Emmanuel Pavone, qui fera une carrière exceptionnelle (8’05 sur 3000…) ; deux jours plus tard, Manu, Jean-Michel et moi remportons le trèfle de Maisières, un marathon par équipes (en trois boucles de 14 km) : 2 h 26’36…

Déjà le démangeait le démon de l’organisation : le 14 juin 1987, avec Michel Colmant et le regretté Jean-Michel Leuxe, il mettait sur pied le jogging du Belvédère, que je remportais devant Jean-Pierre Decourty.

À quel moment quitta-t-il son emploi aux Câbleries pour se lancer dans le commerce… rue du Commerce à Élouges, dans une maison héritée de ses grands-parents ? 1987 ? 1988 ? Je me souviens en tout cas de cette phrase prononcée en 1989 au cours d’un entraînement : « J’ai envie de relancer Dour Sports ». Dans son esprit, l’existence d’un vrai club d’athlétisme à Dour pouvait favoriser son enseigne : « JMC Sport Élouges ». Nous étions quelques-uns à croire que Dour Sports avait un peu perdu son âme dans la fusion de 1983 et, fin 1989, Carlo Di Antonio, Bruno Cougneau, Jean-Michel et moi décidions de réorganiser des entraînements sur le site de la Machine à Feu (les installations venaient d’être détruites dans un incendie crapuleux).

Le 10 mars 1990, Jean-Michel remportait la Printanière des Terrils. C’était le début d’une année faste. Quelques mois plus tard, du 23 au 27 mai 1990, une équipe de dix athlètes de Dour Sports surclassait toute la concurrence au tour de Belgique : 1000 km en relais, en cinquante étapes de 20 km. Le tout bouclé en 61 h 47, avec plus de trois heures d’avance, à une moyenne de 3’42 au km (plus de 16 km/heure) ! Outre Jean-Michel, Carlo, Bruno et moi, rappelons les noms de ces valeureux : Serge et Philippe Druart, Jacques Smarzyk, Pierre Louvrier et les regrettés Joseph Cannizzaro et Alain Ladeuille. Sur la photo, Jean-Michel est au premier rang au centre, souriant et fier comme un capitaine d’équipe qui vient de soulever la coupe (cette victoire vaudra à Dour Sports le mérite sportif dourois 1990).

C’est le 22 septembre 1990 que Jean-Michel organisait la première édition de « SA » course (celle dont Éric Cornu nous parle et dont JMC était si fier). Le 13 octobre, il terminait deuxième des 20 km de Beloeil : la forme était là. Elle allait parler le 28 octobre, à Echternach. Là encore, j’allais voir passer le vent, vers le trente-neuvième kilomètre, en la personne de Jean-Michel : alors que je réalisais mon deuxième temps sur marathon (2 h 30’ 51), notre ami, pour son coup d’essai, « tapait » un remarquable 2 h 30’ 06 ! Derrière nous, Michel Mairesse (2 h 34’ 37) et Bruno Cougneau (2 h 35’ 30) complétaient un remarquable tir groupé qui rapportait l’interclubs à Dour Sports.

Et puis, l’épopée Dour Sports (Jean-Michel remarquable entraîneur des jeunes de SON club), plusieurs éditions de la Corrida Élougeoise (dont Éric Cornu parle si bien), et le cycle des performances et des blessures (fichu tendon !), les hauts et les bas du commerce, la concurrence des grandes enseignes… JMC Sport dut fermer, Jean-Michel retrouver son boulot aux Câbleries. Changement de siècle, de millénaire, d’époque… Le 6 décembre 2010, nous apprenions le décès de notre ami, à l’âge de cinquante et un ans. Pierre Louvrier écrivait alors : « Je suis persuadé que là-haut, tu organises déjà des séances d’entraînement et peut être qu’une corrida a déjà vu le jour avec nos amis joggeurs disparus, les Jules, Jean-Michel, Robert et Joseph. »

Pierre voulait parler de Jules Cougneau, Jean-Michel Carton, Robert Cornu, Joseph Cannizzaro… Il faut ajouter à cette liste Alain Ladeuille, Laurent Faignart, Jacky Bourse, Claude Lupant, Jacky Faille, Michel Mairesse, Jacky Ruelle… Oui, la mort est le terme fatal de notre destinée. Mais le 17 juin, en prenant le départ des Foulées d’Éole et du Grand Prix Jean-Michel Carton, c’est pour tous ceux-là que nous autres vivants aurons une fraternelle pensée.


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