Notre amie Françoise Houdart, romancière et pionnière du jogging dans notre région (46’15 aux 10 km d’Hornu 1983), nous adresse ces belles réflexions sur les femmes et la course à pied dans les années 80 :
« Tout début des années quatre-vingt. Nous étions quelques-unes, téméraires ou intrépides – inconscientes, selon certains « experts », des dangers que représentait le jogging pour le bon fonctionnement de nos utérus, nos muscles pelviens, nos seins fragiles, notre colonne vertébrale ou nos délicates articulations – à nous lancer joyeusement dans la mêlée des coureurs mâles de tous âges et de toutes constitutions.
Et cependant, en dépit de la difficulté de trouver des « baskets » adaptées à nos pieds féminins qui nous obligeait souvent à nous rabattre sur des modèles pour garçons adolescents ou adultes masculins de petites pointures, nous, les filles, jeunes femmes et jeunes mères d’alors, étions au départ des courses devenues mixtes par la force et la volonté de celles qui nous ouvrirent les chemins balisés, souvent à leurs dépens.
J’ai eu la grande chance d’être de celles à qui la pratique quasi quotidienne du jogging et la participation à des courses de toutes catégories apportèrent un épanouissement et un bonheur immenses.
Les rendez-vous avec mes « challengers » amies ne se programmaient pas. Nous étions d’office aux rendez-vous des allures libres de l’ADEPS où qu’elles se déroulent. Les courses régulières ou les joggings événementiels : Dour, Eugies, Beloeil, Frameries, Quaregnon, Hainin, Angre, les Sentiers de Soignes… et tant d’autres qui déroulaient leurs circuits sur 10, 12, 15 kms et plus encore, nous réunissaient dans un même partage d’efforts, rudes parfois. Je confiais mes enfants à Claudine, l’épouse de Freddy Lecomte et c’était parti avec, parfois – pas trop souvent, heureusement – une surprise à l’arrivée : pas de vestiaire pour les femmes, pas de douches ou d’espace un peu privé. Ce qui nous a valu, une aventure drôlasse à l’arrivée d’un 20 km de Cerfontaine, sous la canicule. En l’absence d’un coin où se rafraîchir réservé aux joggeuses, nous avions un peu donné de la voix ! Une haie d’hommes en tenue d’Adam s’était alors spontanément formée pour nous ouvrir un couloir d’accès à l’une des douches « hommes ». Avec quelques autres, nous sommes donc passées, enveloppées dans nos essuies de bain, entre deux haies de c… bien musclés !
J’ai commencé à faire du jogging après la naissance de mon quatrième enfant. J’avais 32 ans. Je n’ai ralenti l’allure qu’après une opération au tendon d’Achille droit. Ce fut ma blessure de guerre après de mémorables courses auxquelles je n’aurais jamais imaginé participer. Je n’évoquerai pas « mes temps ». Ils étaient bons, parfois excellents, souvent très honorables. Quelques médailles me le rappellent. Mais être au départ – et à l’arrivée – de courses qui firent les beaux titres de la revue Spiridon dirigée par Noël Tamini : Marvejols-Mende, Sierre-Zinal, et d’autres aussi superbes : la Mosane, les Crêtes de Spa, la Descente de la Lesse, les 20 km de Paris, de Bruxelles (entre autres), le marathon mixte (avec mon époux Renild) du Trèfle de Maisières, etc., tout ça fait partie de mes plus beaux souvenirs. Ancrés dans ma mémoire, certes. Encrés sur papier aussi, car Noël Tamini me proposa un jour d’écrire quelques textes pour sa revue. C’est ainsi que j’écrivis « La route », l’histoire d’une route qui tombe amoureuse de la joggeuse dont elle écoute, ravie, le bruit léger des pas et qui part avec elle.
Nous, les hardies joggeuses des années quatre-vingt, avons bien passé le flambeau de la passion. Certaines d’entre nous courent encore ou sont passées à la marche rapide. C’est mon cas. Le corps a ses raisons…
Mais ce qui me réjouis vraiment c’est de constater que les femmes, jeunes et moins jeunes, sont de plus en plus nombreuses à « courir pour /ma/ forme ». Au dernier 20 km de Bruxelles, la participation des femmes était de 40%. Record historique.
Au rayon des nombreuses anecdotes qui émaillèrent mes trente années de pratique de ce sport qui ne demande qu’une bonne paire de « baskets » et un peu de temps, je me fais le plaisir de n’en citer que deux. Un 12 km à Frameries, je cours avec mon jeune beau-fils Éric qui se lance, à 14 ans, en compétition pour la première fois. Quelques spectateurs le long des trottoirs font des commentaires et lancent des encouragements. Puis l’un d’eux m’aperçoit : « Mooon, ravîse, c’t ène fème ! Ouais, ène fème… » (orthographe boraine aléatoire). La deuxième : les 20 km de Beloeil. Le château en point de mire. À l’arrivée, Renild (qui garde nos gosses) me demande : tu l’as bien vu, le château, alors ? Moi : quel château ?…
Qu’on me rende ma jeunesse. Je chausse aussitôt mes baskets et… GO ! »
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