La participation des femmes aux épreuves de course à pied est le fruit d'un long et récent combat. Au début des Jeux Olympiques, les femmes ne pouvaient participer qu’à quelques épreuves considérées comme « féminines, légères, gracieuses » comme le patinage artistique ou le badminton. En 1928, l’athlétisme leur est enfin ouvert avec le droit de participer au 100 m, au relais 4 x 100 et au 800 m. Mais à l'arrivée du 800, une femme se jette sur la ligne et tombe. L’histoire est rapidement amplifiée : on prétend que, sur 11 participantes, 5 n'ont pas terminé et que 5 se sont effondrées à l'arrivée. Le comité olympique décide que cette course est dangereuse et le 800 féminin disparaît des jeux jusqu'en 1960.
Dans les années 50-60, on disait à une femme qui souhaitait courir : « Tes jambes vont s'épaissir, tu ne pourras pas avoir d'enfant, ton utérus va se décrocher… » À cette époque, Cathrine Switzer souhaitait entrer dans l'équipe de hockey sur gazon de son école ; son père lui dit : « Cours 2 km par jour et tu vas progresser ». Cathrine a d'abord cru que c'était impossible puis elle l'a fait et s’est sentie chaque jour plus forte. En 1965, elle entre à l'université où rien n'existe pour l'athlétisme féminin. Elle demande à son entraîneur, Arne Briggs, de rejoindre l'équipe masculine. Il lui dit que c'est contraire aux règles de la NAA. Elle insiste, elle rentre dans l'équipe. Son vieux coach a participé 15 fois au marathon de Boston. Cathrine s'entraîne de plus en plus et souhaite le disputer à son tour. Briggs refuse. Elle fait pression. Il lui dit alors : « Si tu me le démontres à l'entraînement, je te prends à Boston ». Kathy s'entraîne jusqu'à courir 42 km à l'entraînement. Briggs est convaincu.
Mais l'organisateur refuse l’inscription des femmes (qui seraient incapables de courir cette distance). En 1966, pourtant, une marathonienne, Bobby Gibbs, avait terminé Boston mais sans dossard. En 1967, Cathrine s'inscrit « K. Switzer » sans précision. Le marathon démarre. Il neige, il pleut. Cathrine, camouflée dans un ample survêtement avec capuche, court entourée par son coach et Tom, son petit ami. Après 3 km, le camion de presse s'approche avec le directeur de course. Cathy a retiré sa capuche. L'organisateur constate qu'elle est une femme. Il descend, il l'attrape par le maillot et lui dit : « Tire-toi de ma course et rends-moi ce dossard ! » Vous avez tous vu sur YouTube ces images invraisemblables. Tom lui balance un coup d'épaule et l’éjecte du parcours. Cathrine s'interroge. Elle est perturbée mais continue. Elle termine mais quelques jours plus tard elle sera disqualifiée du marathon et radiée à vie de la fédération américaine d'athlétisme. Commence alors une lutte de Cathrine pour l'égalité hommes - femmes qui s'inscrit dans un combat plus général pour l'égalité des droits : rappelez-vous en 68 le podium de Mexico où deux sprinters noirs baissent la tête et lèvent un poing ganté pendant l'exécution de l'hymne américain.
À cette époque, en Suisse, naissent le magazine et le mouvement Spiridon. Les femmes sont interdites aussi dans les courses sur route. Noël Tamini, le rédacteur en chef de Spiridon, invite Cathy Switzer à Morat-Fribourg, une course sur route au règlement très militaire. Les femmes y sont interdites (à cette époque elles ne peuvent pas encore voter en Suisse !) Cathrine Switzer termine avec un faux dossard. Elle a une altercation avec l'organisateur scandalisé qui lui fait comprendre qu'il est hors de question qu'une femme puisse participer à son épreuve. Nous sommes au début des années 70. Spiridon va populariser la course à pied féminine avec ce slogan « Belles parce qu'elles courent » (qui rappelle la formule célèbre : « Black is beautiful ! »).
Plus tard, au début des années 80, les femmes peuvent participer au premier grand marathon, celui de New York, mais sont encore peu nombreuses et se sentent perdues parmi la foule des hommes. La firme de produits de beauté Avon va organiser un circuit de courses exclusivement féminines y compris dans le tiers-monde. Cela fait la publicité de la marque mais les récompenses données à des femmes à l'arrivée leur disent aussi : « Vous êtes quelqu'un ».
Jusqu'en 1980, le 1500 mètres est la distance olympique la plus longue pour les femmes mais en 1980, Avon organise un marathon féminin à Londres, siège de la Fédération internationale d'athlétisme. Les performances sont excellentes et l'insertion du marathon féminin est recommandée pour les Jeux Olympiques de 1984. Cette année-là, l’Américaine John Benoit remporte la course en 2 h 24 min 52 s devant la Norvégienne Grete Waitz (2 h 26 min 18 s) et la Portugaise Rosa Mota (2 h 26 min 57 s). Pour Kathy Switzer, c'est une victoire aussi importante que l’obtention du droit de vote. À l'arrivée de ce premier marathon féminin olympique, on retiendra aussi, hélas, le dernier tour titubant de la Suissesse Gaby Anderson, un véritable calvaire. Déshydratée, elle termine en 2 h 48’ 41. Certains médias s'emparent de l’événement pour contester à nouveau le marathon féminin. En fait, cette défaillance était comparable à celles, célèbres, de Dorando Pietri en 1908 et du belge Étienne Gailly en 1948. On ne reviendra pas en arrière et le 5000 et 10000 m féminins seront intégrés aux Jeux Olympiques en 1988.
Kathy Switzer, née en 1947, réalisera son meilleur temps à Boston en 1975 (2 h 51’ 37). En 2018, à 71 ans, elle a encore terminé Londres en 4 h 44’ 49.
Si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet, je vous conseille l’excellent « Free to run », un film réalisé par Pierre Morath, disponible sur Youtube ou sur l'ITunes Store.
Aujourd’hui, plus personne ne conteste le bien-fondé de la participation des femmes aux courses de fond. Si l’un ou l’autre d’entre vous en doute, messieurs, je vous conseille d’essayer de suivre, sur un 10 km des Belles du Haut-Pays, Kabiratou Nassam, Flavie Dupagny, Françoise Théate, Christelle Pierrard ou Abeline Kapuczinski ; ou encore, sur 5 km, Florine Arlon, Anne-Sophie Lheureux, Deborah Honorez ou Vinciane Cougneau.
Si vous êtes encore sceptique, dites-vous bien que la plupart des records féminins se situent environ à 90 % de ceux des hommes… sauf sur 100 km, où ils atteignent 95 %. Ou alors, inscrivez-vous à l’ultramarathon de Badwater : cette course de 135 miles (217 km) et 4000 m de dénivelé positif cumulé, débute à 85 mètres au-dessous du niveau de la mer dans le bassin de Badwater, situé dans la vallée de la Mort en Californie, et finit à une altitude de 2548 m à Whitney Portal, sur les pentes du mont Whitney. Elle fut remportée à deux reprises (en 2002 et 2003), devant tous les concurrents masculins, par l’Américaine Pam Reed, qui courut la distance en moins de 28 heures. Alors, convaincus ?